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L’utilisation du protoxyde d'azote pour induire une sédation légère en cabinet dentaire
La sédation légère induite par un mélange de
protoxyde d’azote à maximum 50 % et d’oxygène peut être une option
lorsqu’une approche comportementale ne suffit pas pour permettre une
intervention dentaire. Plus concrètement, cette option thérapeutique est
envisageable chez les patients excessivement anxieux, chez les enfants
ou chez les patients handicapés. Pour un bon usage du protoxyde d’azote
dans le cadre de la sédation légère, il est essentiel de bien en
connaître les avantages et les inconvénients, ainsi que les
contre-indications. Il convient en outre de connaître et de tenir compte
de l’effet d’une exposition répétée du personnel soignant au protoxyde
d’azote.
Introduction
-
Le dentiste est parfois confronté à des patients excessivement
anxieux ou qui ne coopèrent pas suffisamment, par exemple en raison d’un
handicap mental ou physique. Dans la plupart des cas, l’intervention
peut néanmoins avoir lieu grâce à une approche comportementale : en
construisant une relation de confiance grâce à des contacts réguliers
avec le dentiste, en limitant au maximum la douleur au moment d’une
intervention, en expliquant bien ce qui va se passer, en s’accordant
clairement sur la façon de communiquer pendant l’intervention, en
faisant faire éventuellement des exercices de respiration. Lorsque
l’approche comportementale ne suffit pas, on fait parfois appel à la
"sédation légère”.
-
La "sédation légère”, parfois aussi appelée "sédation minimale”, est
une technique consistant à diminuer le niveau d’anxiété et de stress du
patient en lui administrant un médicament, sans diminuer son niveau de
conscience, la communication verbale restant possible et les fonctions
respiratoires et cardio-vasculaires restant intactes. Une sédation
légère peut être obtenue à l’aide d’un mélange de protoxyde d’azote (à
maximum 50 %) et d’oxygène, et peut permettre, en dentisterie, d’éviter
autant que possible une sédation profonde ou une anesthésie générale. Le
présent article traite de cette forme de sédation légère et s’appuie
sur l’avis du Conseil Supérieur de la Santé (CSS) "Recommandations
concernant l’utilisation du mélange de protoxyde d’azote (N2O) à maximum 50 % et d’oxygène pour une sédation minimale réalisée dans et dehors des institutions de soins” (Avis 9299), ainsi que sur quelques autres publications (voir "Références importantes”). Dans une note en fin d’article, nous abordons une Cochrane Review
sur la sédation chez les enfants qui doivent subir une intervention
dentaire, et sur l’utilisation de benzodiazépines dans le cadre de la
sédation légère.
Mélanges de protoxyde d’azote à maximum 50 % et d’oxygène pour une sédation légère
-
A condition de ne pas utiliser d’autres sédatifs pendant
l’intervention dentaire, le mélange de protoxyde d’azote (à maximum 50%)
et d’oxygène assure une sédation légère.
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Deux systèmes d’administration sont possibles :
1. Un système de titration consistant à administrer d’abord de
l’oxygène à 100%, après quoi la concentration en protoxyde d’azote est
progressivement augmentée jusqu'à ce que la sédation souhaitée soit
atteinte (avec une limite de maximum 50% de protoxyde d’azote). C’est
principalement cette méthode qui est utilisée en dentisterie.
2. Un système fixe libérant 50% de protoxyde d’azote et 50% d’oxygène.
-
Il convient de souligner que, même si l’application d’une sédation
légère avec le protoxyde d’azote a un certain effet analgésique, une
anesthésie locale optimale reste essentielle.
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L’oxygène et le protoxyde d’azote, ainsi que leurs mélanges (à 50%
de protoxyde d’azote et 50% d’oxygène), sont autorisés comme médicaments
et peuvent être prescrits par les dentistes et les médecins s’ils ne
contiennent pas plus de 50% de protoxyde d’azote.
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Les spécialités contenant des mélanges à 50% de protoxyde d’azote et
50% d’oxygène sont uniquement remboursés lorsque le traitement est
appliqué en milieu hospitalier et ce dans certaines conditions seulement
(chapitre IV).
Recommandations de bon usage de la sédation légère au protoxyde d’azote en pratique dentaire
Pour garantir un bon usage du protoxyde d’azote, il est important que
le dentiste en connaisse suffisamment les avantages et les
inconvénients, ainsi que les contre-indications. Dans son avis, le CSS
formule quelques recommandations à ce sujet.
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L’administration des mélanges de protoxyde d’azote et d’oxygène pour
la sédation légère devrait être réservée aux dentistes ayant suivi une
formation spécifique et certifiée. Le Conseil de l’Art dentaire belge a émis un avis à ce sujet en 2013 ; les formations existantes sont décrites de manière plus détaillée dans l’avis du CSS.
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Le dentiste qui réalise l’intervention devrait être assisté par une
personne qui administre le protoxyde d’azote et surveille le patient. Il
est recommandé que ces personnes aient également suivi une formation.
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Les patients doivent être sélectionnés de manière correcte, grâce à
une bonne anamnèse médicale (détermination du score ASA, vérification de
contre-indications
éventuelles).Seuls les patients ayant un statut ASA 1 ou ASA 2 entrent
en ligne de compte pour une sédation légère par le dentiste; chez les
patients avec un score ASA > 2, l’avis d’un spécialiste et
l’intervention d’un anesthésiste s’imposent.
Le
score ASA est un score utilisé pour évaluer le risque anesthésique, qui
permet de mesurer et d’évaluer l’état de santé général du patient.
- ASA 1: patient en bonne santé.
- ASA 2: patient présentant une atteinte systémique légère sans limitation des activités quotidiennes.
- ASA 3: patient présentant une atteinte systémique limitant les activités quotidiennes.
- ASA 4: patient présentant une atteinte systémique sévère potentiellement fatale.
- ASA 5: patient dont l'espérance de vie ne dépasse pas 24 heures sans intervention chirurgicale.
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Un monitoring clinique continu et rigoureux du patient s’impose,
aussi bien pendant l’inhalation du mélange au protoxyde d’azote
qu’après, jusqu’à ce que le patient soit entièrement réveillé. Il
convient ici d’observer l’état de bien-être général, l’état de
conscience, la respiration (qui ne doit pas être entravée) et la
circulation sanguine (couleur de la peau et des muqueuses, observation
complétée par une détermination de la saturation en oxygène par
l’oxymétrie de pouls). En ce qui concerne le monitoring de la qualité de
la respiration par l’oxymétrie de pouls, il est important de savoir que
cette méthode peut être moins fiable et trompeuse en termes de
détection de problèmes respiratoires (respiration entravée ou trop
lente). En effet, en raison de l’administration d’oxygène pur avant le
début de la procédure (lors de l’application de la méthode de titration)
et de l’apport constant de minimum 50 % d’O2 pendant la procédure, il
peut s’écouler jusqu'à 4 minutes, en cas d’apnée persistante ou
d’obstruction des voies respiratoires, avant que la saturation en
oxygène n’atteigne des valeurs basses critiques (< 90 %).
L’observation clinique continue de la respiration est donc essentielle.
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Il est recommandé d’administrer de l’oxygène pur pendant quelques
minutes après l’arrêt de l’inhalation de protoxyde d’azote et de
continuer à observer le patient pendant au moins 15 minutes jusqu’au
retour complet de la conscience, de l’équilibre et des fonctions
motrices.
Contre-indications et risques : le patient
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La sédation légère au protoxyde d’azote est contre-indiquée chez les patients suivants.
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Patients ayant un score ASA > 2.
Le
score ASA est un score utilisé pour évaluer le risque anesthésique, qui
permet de mesurer et d’évaluer l’état de santé général du patient.
- ASA 1: patient en bonne santé.
- ASA 2: patient présentant une atteinte systémique légère sans limitation des activités quotidiennes.
- ASA 3: patient présentant une atteinte systémique limitant les activités quotidiennes.
- ASA 4: patient présentant une atteinte systémique sévère potentiellement fatale.
- ASA 5: patient dont l'espérance de vie ne dépasse pas 24 heures sans intervention chirurgicale.
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Les patients avec qui une bonne coopération pendant
l’administration ne peut pas être garantie (p. ex. maskaphobie). L’âge
n’est pas en soi une contre-indication absolue, et la sédation par le
protoxyde d’azote peut être utilisée en dentisterie pédiatrique chez les
enfants de tout âge. Chez les enfants < 1 an, le risque d’effets
indésirables potentiellement graves (tels que dépression respiratoire,
désaturation en oxygène) est plus élevé.
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Les patients chez qui la surpression éventuelle, provoquée par
l’accumulation de protoxyde d’azote dans les cavités corporelles, peut
entraîner une rupture (p. ex. pneumothorax, certaines affections des
sinus et de l'oreille moyenne).
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Les patients présentant une déficience en vitamine B12 ou une maladie génétique du métabolisme de la vitamine B12 et
de l’acide folique (homocystinurie, tyrosinémie de type 1, acidémie
méthylmalonique, déficience en méthionine synthétase), en raison de
l’interférence du protoxyde d’azote avec le métabolisme de la vitamine B12 et de l’acide folique.
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Si le patient prend déjà des médicaments ayant des propriétés
sédatives, le risque de sédation excessive est accru. L’instauration
récente de médicaments à propriétés sédatives ou des modifications
récentes de leur posologie sont donc considérées comme une
contre-indication. En revanche, lorsque le patient prend des médicaments
psychotropes depuis un certain temps, la sédation au protoxyde d’azote
peut être appliquée.
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On signale également que l’oxygène contenu dans les mélanges de
protoxyde d’azote et d’oxygène est susceptible de potentialiser la
toxicité pulmonaire de certains médicaments (bléomycine,
nitrofurantoïne, amiodarone). Un traitement ancien ou actuel avec ces
médicaments est considéré dans certaines sources comme une
contre-indication.
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Le premier trimestre de la grossesse est une contre-indication pour
la sédation légère au protoxyde d’azote. Selon certaines sources,
celle-ci est également contre-indiquée chez les femmes susceptibles de
devenir enceintes ainsi que dans le 2e trimestre de la
grossesse. Cette attitude restrictive repose cependant sur des
observations faites chez des soignants en contact chronique avec le
protoxyde d’azote (ou d’autres anesthésiques) (voir plus loin).
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Lorsque les conditions de bon usage sont respectées, le profil
d’innocuité des mélanges de protoxyde d’azote à maximum 50% et d’oxygène
est bon. Chez le patient, les effets indésirables aigus suivants
peuvent se manifester.
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Fréquents : nausées et vomissements.
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Rares : euphorie, dysphorie, excitation paradoxale, paresthésies, perception sensorielle altérée, insomnie, vertiges, otalgie.
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Très rares: complications respiratoires; celles-ci ont surtout été
observées chez des enfants âgés de < 1 an ou en cas d’usage
concomitant d’autres sédatifs.
Ces effets indésirables disparaissent quelques minutes après l’arrêt
de l’administration. Bien que la situation initiale se rétablisse vite
et complètement après l’arrêt de l’administration du mélange de
protoxyde d’azote à maximum 50% et d’oxygène, il est conseillé de ne pas
conduire de véhicules et de ne pas manipuler de machines dans les 2
heures qui suivent le traitement.
Contre-indications et risques : le soignant
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En cas d’inhalation de concentrations élevées de protoxyde d’azote
(> 50 %, comme dans le cadre de l’anesthésie) et en cas d’exposition
prolongée (p. ex. exposition professionnelle dans un espace mal
ventilé), il existe des preuves de toxicité hématologique (anémie
macrocytaire) et neurologique (neuropathie), également dues à
l’interférence du protoxyde d’azote avec le métabolisme de la vitamine B12
et de l’acide folique. Certaines mesures de précautions doivent donc
être prises pour les soignants qui entrent fréquemment en contact avec
le protoxyde d’azote. Une attention particulière doit être accordée à
l’appareillage du protoxyde d’azote, aux salles de soins (entre autres
la ventilation), et au transport et au stockage adéquats des bonbonnes
de gaz. Il est recommandé de surveiller l’exposition professionnelle du
personnel soignant au protoxyde d’azote : il s’agit de ne pas dépasser
une valeur moyenne de 50 ppm sur une journée de travail de 8 heures. Il a
déjà été mentionné précédemment que le traitement au protoxyde d’azote
est contre-indiqué en cas d’anomalies dans le métabolisme de la vitamine
B12 et de l’acide folique chez les patients, mais il
convient également d’être attentif à cet aspect chez les soignants
atteints de telles anomalies.
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Parmi le personnel soignant, les femmes susceptibles de devenir enceintes et les femmes dans leur 1er ou 2e
trimestre de grossesse ne peuvent pas réaliser une sédation au
protoxyde d’azote ni y assister. Cette attitude restrictive repose sur
des observations (avortement et infertilité) qui ont été faites chez des
soignants (anesthésistes, personnel assistant) ayant été exposés de
manière chronique au protoxyde d’azote (dans diverses concentrations, et
en association à divers autres anesthésiques) dans des espaces mal
ventilés. Il n’est pas clair à quelle dose de protoxyde d’azote sont
associées ces observations, et quelle est l’ampleur du risque. Par
ailleurs, des effets neurotoxiques mineurs à long terme chez l’enfant ne
sont pas exclus. En revanche, rien n’indique que le protoxyde d’azote
constitue une cause majeure de malformations congénitales. L’effet d’une
exposition dans le 3e trimestre de grossesse est peu documenté, et des études de neurotoxicité à long terme sont souhaitables à ce sujet.
Note
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Une Cochrane Review
(2012) a évalué les données étayant l’efficacité de la sédation légère
chez les enfants qui doivent subir un examen ou une intervention
dentaire. Quelques données indiquent que seuls le midazolam par voie
orale (cette forme n’est pas disponible en Belgique) et les mélanges de
protoxyde d’azote à maximum 50 % et d’oxygène sont associés à un effet
positif sur le comportement de l’enfant. Aucune autre benzodiazépine n’a
fait l’objet d’une étude dans cette indication, ou alors l’étude ne
répondait pas aux critères d’inclusion de la Cochrane Review.
La Cochrane Review
incluait 36 études (2.810 patients âgés en moyenne de 4,7 ans); 28
sédatifs différents ont été évalués, associés ou non à un mélange de
protoxyde d’azote (à max. 50 %) et d’oxygène. Le critère d’évaluation
primaire était l’effet sur le comportement de l’enfant. Les études
étaient de faible qualité, et la plupart d’entre elles comportaient un
risque de biais peu clair et probablement élevé. Seuls le midazolam par
voie orale (cette forme n’étant pas disponible en Belgique) et le
protoxyde d’azote ont pu faire l’objet d’une conclusion par les
auteurs : quelques données suggèrent que le midazolam par voie orale
(dose située entre 0,25 mg/kg et 0,75 mg/kg) et les mélanges de
protoxyde d’azote (à max. 50 %) et d’oxygène ont un impact positif sur
le comportement de l’enfant.
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En ce qui concerne l’utilisation des benzodiazépines par voie orale
pour la sédation légère en dentisterie, il convient de signaler que le
début, le degré et la durée de la sédation varient fortement d’un
individu à l’autre, et qu’il faut tenir compte des risques, dont
notamment le danger de conduire un véhicule ou de manipuler une machine
après le traitement. L’utilisation de benzodiazépines par voie orale
dans cette indication est donc contestée.
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Le protoxyde d’azote est parfois utilisé à des fins récréatives pour
obtenir une sensation d’euphorie. Cet abus peut toutefois provoquer une
toxicité hématologique (anémie macrocytaire) et neurologique
(neuropathie), des réactions psychiatriques sévères (p. ex.
psychotiques) et des cas de décès par asphyxie.
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Le protoxyde d’azote (N2O) peut fortement contribuer à l’effet de serre (310 fois plus fort que le CO2) en détériorant la couche d’ozone. L’usage médical ne constitue toutefois qu’une source d’émission très mineure de N2O
Sources générales
-Conseil
Supérieur de la Santé. Recommandations concernant l’utilisation du
mélange de protoxyde d’azote (N2O) à maximum 50 % et d’oxygène pour une
sédation minimale réalisée dans et dehors des institutions de soins.
Avis n° 9299, novembre 2016, sur http://www.health.belgium.be/fr/avis-9299-protoxyde-dazote
- The
European Society of Anaesthesiology task force on the use of nitrous
oxide in clinical anaesthetic practice. The current place of nitrous
oxide in clinical practice An expert opinion-based task force consensus
statement of the European Society of Anaesthesiology. European Journal
of Anesthesiology 2015,32:1-4
- Briggs GG
en Freeman RK. A reference guide to fetal and neonatal risk: drugs in
pregnancy and lactation. 11de editie (elektronische versie)
-
Lourenço-Matharu L, Ashley PF, Furness S. Sedation of children
undergoing dental treatment. Cochrane Database of Systematic Reviews
2012, Issue 3. Art. No.: CD003877 (doi: 10.1002/14651858.CD003877.pub4.)